Quantcast
Channel: FARC – America Latina (VO)
Viewing all articles
Browse latest Browse all 14

Toulouse rend hommage à Cali, capitale de la cinéphilie en Colombie

0
0

« Todo comenzo por el fin », film de Luis Ospina. Au centre, le réalisateur et Carlos Mayolo. DR

Cali, la troisième ville de la Colombie, a été au cours des années 1960-1970 un des hauts lieux d’une cinéphilie qui a contribué à renouveler la production de films dans le pays. Deux personnalités emblématiques représentent ce moment exceptionnel : l’écrivain et critique Andrés Caicedo (1951-1977), fondateur du ciné-club de Cali (1973) et de la revue Ojo al cine (1974-1976), auteur du roman Que viva la musica ! (Belfond, 2012), et le réalisateur Luis Ospina, qui a fait du documentaire de création une sorte d’autobiographie de sa génération.

L’effervescence à Cali ne touchait pas seulement les amateurs de cinéma et les apprentis réalisateurs, mais aussi d’autres domaines, notamment les planches. Un des sièges du ciné-club a été d’ailleurs le Théâtre expérimental de Cali (TEC), où l’adolescent Andrés Caicedo avait appris le métier d’acteur et la mise en scène auprès de l’auteur dramatique Enrique Buenaventura, maître des lieux bienveillant et brechtien. La création collective et la vie communautaire étaient à l’ordre du jour. A Ciudad Solar (Ville solaire), la communauté fondée en 1971, tous les arts étaient les bienvenus, dans une ambiance hippie, « peace and love ».

Cinéphiles iconoclastes, le groupe de Cali s’insurgeait contre le « réalisme magique » à la mode dans la littérature et la scène théâtrale, qui commençait à contaminer le cinéma. Ils n’ont pas hésité à tuer symboliquement le père, lorsqu’ils ont lancé la « MGM », qui ne renvoyait pas à la major hollywoodienne, mais au mot d’ordre « Maten a Garcia Marquez » (« Tuez Garcia Marquez », l’auteur de Cent ans de solitude).

Ils s’en sont pris aussi au documentaire engagé, à ce qu’ils appelaient la « porno-misère », brocardée dans un film culte, Agarrando pueblo (Attrapant le peuple, Luis Ospina et Carlos Mayolo, 1978), primé aux festivals de Lille et d’Oberhausen. Amateurs de calembours, ils avaient proclamé leur dévotion à la déesse indienne Kali. Et ils ont surnommé ironiquement leur mouvement « Caliwood », à l’honneur des rencontres de Toulouse, Cinélatino (17 au 26 mars).

La salsa et les drogues

L’attraction du cinéma américain était forte. Andrés Caicedo a fait le voyage à Hollywood, dans l’espoir de vendre des scénarios à Roger Corman, le maître des films d’épouvante bon marché. Luis Ospina n’a pas choisi Rome ou Paris pour faire ses études de cinéma, comme tant de Latino-Américains, mais la Californie. Son attachement au cinéma de genre est perceptible dans ses incursions dans la fiction, Pura sangre (Pur sang, 1982) et Soplo de vida (Souffle de vie, 1999).

L’ambiance d’alors disposait de deux puissants carburants, la musique et les drogues. Contrairement à Bogota et à Medellin, Cali est une ville tropicale et une des métropoles de la salsa. Malheureusement, elle a été aussi un centre des narcotrafiquants, le cartel de Cali. Les Colombiens n’ont pas été seulement producteurs et pourvoyeurs de cocaïne pour le reste de la planète, mais grands consommateurs. A l’époque, la poudre blanche n’était pas chère et circulait avec complaisance et inconscience. Les ravages humains et sociaux n’ont pas tardé, tout comme l’explosion des violences.

Que viva la musica ! décrit parfaitement le mélange d’euphorie, découvertes et désespoir qui présidait à l’effervescence culturelle de Cali. Andrés Caicedo s’est suicidé à 25 ans, l’année de la parution de son roman (1977). Luis Ospina, fidèle parmi les fidèles, lui a consacré un premier portrait audiovisuel, Andrés Caicedo : unos pocos buenos amigos (Andrés Caicedo : à peine quelques bons amis, 1986).

Trente ans plus tard, Luis Ospina s’est surpassé avec un portrait de groupe, qui évoque le destin émouvant, fascinant et tragique de cette génération, Todo comenzo por el fin (Tout a commencé par la fin, 2015), sélectionné par le festival Cinéma du Réel, au Centre Georges-Pompidou (24 mars au 2 avril). Le réalisateur lui-même était au bord de la mort, sans cesser pour autant d’enregistrer l’évolution de sa maladie et de convoquer les souvenirs à l’aide des derniers témoins et de ses propres archives. Ce documentaire de trois heures et demie est parfois éprouvant, mais indispensable pour cerner le groupe de Cali.

Le non-conformisme de Caliwood s’exprimait encore dans le rejet de la politique réellement existante en Colombie. Dans les années 1960-1970, l’engagement militant de la jeunesse s’exprimait par l’adhésion à la lutte armée, qui allait entraîner dans la guérilla le Parti communiste, fondateur des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Luis Ospina, encore lui, a moqué les contorsions staliniennes dans un film brillant, Un tigre de papel (Un tigre en papier, 2007), qui évoque les déboires de la gauche avec un humour décapant.

Géographie des cinéphiles latinos

Contrairement à ce que suggère Antoine de Baecque dans son ouvrage La cinéphilie : Invention d’un regard, histoire d’une culture (1944-1968) (Fayard, 2003), la cinéphilie n’a pas été un phénomène purement parisien. Certes, le ciné-club et la cinémathèque sont des inventions françaises, reprises ensuite ailleurs. Mais l’investissement des catholiques et des communistes dans le mouvement des ciné-clubs leur a donné un rayonnement international, tandis que la Fédération internationale des archives du film (FIAF), née en 1938, favorise la multiplication des cinémathèques dans l’après-guerre.

Andrés Caicedo et Luis Ospina, DR.

Ainsi, en Amérique latine, la cinéphilie a eu ses métropoles électives dans les années 1950 et 1960, dont témoigne la floraison de revues spécialisées, catholiques ou laïques.

La passion et les découvertes des cinéphiles à Montevideo, Buenos Aires, Rio de Janeiro, São Paulo, Lima, La Havane ou Mexico, soutenaient la comparaison avec celles de Paris, Londres ou New York.

Les projections à l’Institut français d’Amérique latine (IFAL), à Mexico, ont marqué les écrivains de la génération du « boom », comme Carlos Fuentes.

Cette cinéphilie a été fertile, elle ne s’est pas contentée du plaisir solitaire du spectateur averti. Les ciné-clubs et les cinémathèques latino-américaines ont suscité l’émergence d’un nouveau regard et une exigence de renouvellement de la production. A défaut d’écoles professionnelles, ils ont formé les jeunes Brésiliens qui ont donné naissance au « Cinema Novo » des années 1960, tout comme ils précédent l’essor du « Nuevo Cine » argentin, le renouveau du cinéma mexicain, cubain ou chilien.

Cali, mieux que Bogota ou Medellin, a fait partie de cette constellation de la cinéphilie, capable de bouleverser le panorama d’une cinématographie intermittente ou végétative comme la colombienne. L’impact a touché aussi la télévision publique, avec les documentaires d’Oscar Campo, produits dans le cadre de l’Université del Valle, à Cali. En Amérique latine, l’histoire culturelle, encore balbutiante, reste à écrire.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 14

Latest Images





Latest Images